01/04/1981

Ma mère et son syndrome de Münchhausen par délégation

L'arrachement de mon Grenoble natal et l’accueil ostracisé que me fit cette Maurienne arriérée, un père absent, parce qu’il devait parcourir le monde pour son travail et une mère hyper protectrice ont contribué à faire de moi un adolescent mal à l’aise avec la vie et avec son environnement :

Saint-Jean -de-Maurienne s’est très vite avéré être une terre hostile. Je n’y avais pas d’amis du cru. Je les trouvais idiots et violents. C’était vraiment difficile pour moi de trouver une quelconque grâce à des gens qui achetaient les vêtements sur le champ de foire, qui m’appelaient « le Gronoblois » et qui, même parfois, sentaient une drôle d’odeur, celle de la ferme.  

Je me rappelle que quand même je jouais avec des enfants du quartier mais mes parents n’aimaient pas trop ces gamins là parce qu’ils étaient « arabes » ou parlaient mal le français. Au moins, avec eux, nous avons appris à nous battre et surtout à nous défendre des brimades autochtones. Oui, j’ai dû casser quelques paires de lunettes et même quelques nez pour ne plus être embêté et me faire respecter même ce n’était pas du tout ce que je voulais.

Aussi loin que remontent mes souvenirs, maman nous a toujours présenté le monde extérieur comme dangereux et toxique. Le cocon familial nous était vendu comme la seule forme de gouvernance et d’alliance valable.

 Je veux penser qu'à part de très rares exceptions, une maman fait toujours de son mieux avec ce qu'elle a pour ces petits. Mais parfois, elle n'a pas grand-chose. Tellement handicapée des sentiments, certainement parce que son père était mort quand elle avait six ans, et que très tôt elle dut subvenir aux besoins de ma grand-mère et de sa petite sœur, maman ne nous a jamais manifesté d'encouragements autre que matériels.

Je n'ai pas de souvenirs de câlins ou de bisous venant d'elle, ni de papa d’ailleurs.  Elle régnait sèchement et cliniquement en nous évitant toutes contraintes mais nous construisit ainsi une certaine inadaptation au monde et à l'échange avec les autres.

Bizarrement, par contre, elle avait une fâcheuse tendance à faire confiance au premier venu du moment qu’il présenta bien, soit parce qu'il était banquier, dentiste ou médecin, comme l'un de ses oncles qui avait un peu aidé ma grand-mère veuve en 1946 et ses deux filles, soit parce que, simplement, il portait une belle cravate ou une soutane pédophile.

En bonne infirmière, elle exécutait leurs prescriptions, même les plus farfelues, avec une application exemplaire. J’ai donc passé mes jeudis puis mes mercredis chez le dentiste, l’orthopédiste ou au catéchisme pour pas grand-chose. 

J’ai depuis appelé cela son « Syndrome de Münchhausen par délégation ».

Papa, lui, n’était pas vraiment présent dans la famille. Quand nous étions enfants, il voyageait beaucoup et ne rentrait que les weekends, laissant ma mère tout gérer.  Plus tard, quand professionnellement, son réseau de représentants fut mis en place, il s’isolait dans son check de radio amateur, un petit local sans fenêtre dans les soupentes de la villa que nous appelions " l'estanco ". Il y passait ses weekends, ses soirées et souvent ses nuits à bricoler.

Mes parents n’ont jamais valorisé ou félicité leurs enfants. Quand nous réussissions, c'était « la moindre des choses » ou la « chance », nos bêtises de gamins, elles, par contre, nous étaient rabâchées pendant des années.