06/01/1985

Janvier 1985 - A l'âge de 21 ans, la psychiatrie a ruiné ma vie

Il y a quelque chose de très étonnant :

Dans mon dossier médical n'apparait pas le moment où l'on m'a donné les premiers antipsychotiques ni ce qui a motivé ce choix chez les Docteurs Hélène Aussedat et surtout Jean-Paul Chabannes qui était son chef de service.

Janvier1985

Au CHS de Bassens, Hélène Aussedat, alors jeune interne, était terrorisée par le docteur Jean-Paul Chabannes., son chef de service. En deux jours, ils avaient posé le diagnostic sans appel et cruel : schizophrénie.

Ces deux psychiatres m’appliquèrent de force le protocole médical classique : neuroleptiques et anxiolytiques. Puis, voyant qu'il ne fonctionnait pas, ou pas assez rapidement à leur gout, ils le renforcèrent en augmentant les doses et en y ajoutant d'autres molécules. Ceci eu pour effet de me plonger dans un glauque bardo psychologique, me rendant dépressif et doutant de tout, à commencer par moi-même.

En moins d'un mois, je n'étais plus rien d'autre qu'un malade mental. Le jeune artiste prometteur n'était maintenant plus qu'un zombie.

Je me rappelle très bien la première prise de neuroleptiques : Un soir, les infirmiers m'ont présenté un verre avec un liquide épais, visqueux et incolore au fond et m'ont demandé de le boire.

Quand j’ai demandé de quoi il s'agissait, on m'a répondu :

« Ça va te faire du bien.  Avale » !

J'ai refusé.

Énervés, ils m'ont menacé et ont ajouté du sirop de grenadine dans ce breuvage et redemandé de le boire.

J'étais terrorisé mais, à nouveau, j’ai refusé.

Ils étaient trois ou quatre autour de moi.

J'avais peur, je pleurais, je suppliais.

Ils sont devenus encore plus menaçants.

Alors, j'ai avalé.

Ils ont gagné.

Quelque chose en moi savait  que maintenant ma vie ne serait plus jamais celle que j'avais rêvée. En buvant ce breuvage, je fus pris d'une sensation horrible, pire que celle que j'aurai en 1992 quand on m'annoncera la mort subite de Papa. Celle d'être soudainement dépouillé d'une partie de mon être.

Quand les infirmiers m'ont administré de force la première dose de neuroleptiques, j'ai compris que je devrais faire le deuil de ma vie d'artiste, de mes envies, de mes projets et de ma liberté. 

Ce soir là, mon âme a su qu'elle était perdue. 

05/01/1985

5 janvier 1985 - Deuxième jour en HP

Extrait de mon dossier médical :

II s'agit d'un jeune homme de 21 ans, adressé au Dr Chabannes par, l’intermédiaire du Dr KORNER (il s'agissait de son médecin traitant à St Jean de Maurienne). 
C'est sa première hospitalisation en hôpital psychiatrique. 
Antécédents médicaux et chirurgicaux :
Amygdalectomie, adénoïdectomie dans l’enfance, a un pincement discale au niveau de la 5ème lombaire, varus équin à la naissance pour lequel il a eu un traitement orthopédique dont il a gardé une petite déformation (porte des semelles orthopédiques). Allergie au rhum des foins depuis 4 ans et demi, traité par homéopathie. A fait une  mononucléose infectieuse il y a un an.
Début d'une toxicomanie il y a trois, quatre ans qui a commencé par le Hachich, puis LSD, puis héroïne (avoue seulement 5 shoots à l'Héroïne  répartis en une semaine), il y a 5 mois.
Pas d'alcool, pas de cocaïne.
Antécédents familiaux : père âgé de 55 ans, profession : représentant en mécanique ; sa mère est âgée de 47 ans, elle est infirmière, il dit de sa mère qu'elle a tendance  à soigner tout le monde, ATCD de spasmophilie.
Pour son père, il dit qu'il aurait été hospitalisé à Versailles où il aurait subi des électrochocs à l'âge de 25 ans, il a également un oncle qui a fait un séjour à Bressieux
Deux sœurs, l'une âgée de 19 ans, Sophie qui est actuellement en terminale à St Jean de Maurienne, l'autre âgée de 16 ans, Christine, est en seconde. Pas d'antécédents de dépression.
Antécédents personnels et mode de vie:
Il a eu un bac C, en redoublant sa terminale, est actuellement en troisième année aux Beaux-Arts à Grenoble.
Au niveau du sport, fait de la planche à voile, du karaté, du judo, de la natation et de la marche.
Au niveau littéraire, passionné de Japon et de science-fiction.
Exempté de service militaire P2.
Pendant 1'entretien : tout d'abord se présente avec un walkman et un grand cahier de dessins qu'il commentera de façon délirante et floue. Il me montre une personne qui apparaît morcelée. Les autres dessins sont totalement incohérents, il les commente avec des thèmes mystiques, également des thèmes de science fiction et de grandeur.
Dans les dessins, il met en place des systèmes scientifiques pour faire disparaître ses parents. Il donne 1'impression de bizarrerie, il existe des barrages dans le discours, ne finit pas ses phrases, apparition de tout ou rien dans ses propos.
Il s'agit d'un premier accès qui semble à priori schizophrénique.
Au niveau de la conduite à tenir, actuellement on observe son comportement, il lui est prescrit du TRANXENE si besoin.


Il doit être revu par le Dr Chabannes.

                                               H. AUSSEDAT

Je n'ai alors plus rien d'autre pour m'exprimer que quelques feutres et les feuilles A4 que les infirmier(e)s veulent bien me concéder. 


Je produis pas mal de dessins dans ma chambre sans trop savoir vraiment ce que je fais là ni même où je suis vraiment. 

04/01/1985

4 janvier 1985 - Première hospitalisation

ADMISSION S.L – Hors secteur (extrait de mon dossier médical)
Jeune homme: de 21 ans, hospitalise par le Dr Chabannes.
A l'entretien, assez détendu, souriant.
Discours très rationalisant, désaffectivisé, difficultés à se concentrer (mais venait de recevoir une injection IM de 2 ampoules de Tranxène)
Lenteur d’idéation. Nie toute toxicomanie actuellement.
Dit avoir éprouvé un sentiment de bizarrerie lors de son séjour cher ses parents.
Pas d'antécédents médicaux particuliers en dehors d'une Mononucléose Infectieuse l'an dernier.
A  l'examen  RAS:  TA 13/7 ,   pouls 80   , Neuro :  RAS
CAT pour ce soir : Surveillance
                          
Injection prescrite par le Dr Chabannes si nécessaire.
                                              

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