10/03/2023

Le grand SECRET

Diagnostiqué schizophrène en 1985, j'ai passé ma vie à prendre des tonnes de neuroleptiques, des régulateurs de l'humeur et d'anxiolytiques pourtant parallèlement je trouvais aussi un CDI dans le nucléaire civil. 

Comment un soi-disant schizophrène a-t-il pu intégrer le secret défense français pendant 30 ans ?


D'abord responsable d'interventions pendant 3 ans pour la société Merlin-Gerin (devenue plus tard Schneider-Electric puis Rolls-Royce Civil Nuclear), j'ai vécu, de 1988 à 1990, à un rythme effréné dans le milieu anxiogène, grandiose et hostile des réacteurs. Même si c’est illégal, je n’ai pas eu un jour de repos pendant cette période. Parcourant la France dans tous les sens avec ma petite voiture (une Renault 5 diesel), j’intervenais rapidement et le plus efficacement possible avec ou sans mes gars, larbins sous-traitants d'EDF que nous étions, cumulant les kilomètres, mais heureusement pour moi et contrairement à beaucoup d'autres, pas les doses de radiations. 


" Travailler dans les centrales nucléaires est une expérience unique. Dans les CPN, la vie d’un homme n’a pas beaucoup de valeur si on la compare au prix de l’énergie. Le monstre de béton et de ferraille réduit, ici, le travailleur à une fonction de « chair à neutrons » Aujourd'hui, il ne lui est plus demandé de bien faire son boulot mais de le faire vite. La production est prioritaire. Ne pas le comprendre peut amener à faire n’importe quoi, et le comprendre amène au burn-out. Quand il s’agit de faire fonctionner la machine, cela n’a aucune importance ".

Je garde quand même un souvenir ému de cette période qui a pourtant failli s'achever de manière tragique : C'était à Saint-Laurent-Des-Eaux, où j'intervenais sur les onduleurs, juste avant la Saint Sylvestre et le passage en 1990. Je me rappelle de cet épisode de ma vie comme si c'était hier. 

De notre première dispute de couple avec Dominique à l'hôtel et de l'engueulade matinale avec l''hôtelier, de mon passage express à la centrale, de la révélation de l'"omerta atomique" , de ma mise en placement d'office ensuite. Ce même matin de brouillard où les policiers qu'avait mandatés le préfet du Loiret m'ont arrêté, des mensonges me concernant qu'avait extorqué les mêmes flics ensuite à ma copine, de la rudesse de la chambre d'isolement de l'hôpital de Fleury-Les-Aubrais ensuite, puis du transfert en ambulance deux semaines plus tard au CHS de l'Isère.

Quand, au bout de deux mois, l'hospitalisation sous contrainte fut levée, j'ai essayé de reprendre mon métier de responsable d'interventions dans les centrales nucléaires mais, à cause des médicaments, je n'y suis pas arrivé.

Les années suivantes,  j'ai été reclassé dans des taches de moindre importance comme la réparation des sous-ensembles électroniques, leur contrôle et leur  qualification. Mes collègues étaient sympas et nous étions assez solidaires face à notre malveillante et mesquine hiérarchie. 

Notre chef de service, était lui un petit roquet teigneux et de 1990 à 2007, répondant au doux surnom de " Malade mental ", j'ai dû le subir encore plus que les autres.
 Aidé par les RH, il cherchait à tous prix à me pousser à la faute pour me faire licencier. Il m'humiliait également le plus possible.
Je le revois, par exemple, m'invectivant parce qu'il me fallait boire beaucoup d'eau à cause de mon traitement par sels de lithium. Il faut quand même dire que les locaux de notre annexe à Poisat n'était pas climatisés et que l'été nous y relevions souvent des températures supérieures à 35°C.
    
Mais j'ai tenu. J'ai tenu pendant plus 30 ans sans le statut de handicapé qui de toute façon ne correspondait pas à l'image de base que j'ai de moi-même
En cachant les choses ou en les racontant à ma sauce, j'ai résisté. 
Ma femme, Judith,  m'y a alors beaucoup aidé. 

Quand ce chef de service nabot, alcoolique et tortionnaire est enfin parti à la retraite, son remplaçant  m'a donné une chance en me nommant contrôleur technique. Cette fonction était intéressante car par ma maitrise des différents équipements électroniques, parfois complexes et de leurs fonctions dans les réacteurs nucléaires, je prenais un rôle important en ce qui concerne la sureté et la pérennité de l'instrumentation de contrôle et de commandes des installations nucléaires françaises et de quelques unes à l'export. 
Je sortais à nouveau de l'ombre mais pas non plus vraiment prêt à faire  des concessions vis à vis des failles du système ou a être le simple "cocheur de cases" nécessaire pour la validations d'un travail parfois douteux ou carrément non effectué. Même de mieux en mieux payé, je n'étais pas prêt à être au service du lobby nucléaire et de ses magouilles. Je refusais le rôle d'éventuel fusible que ma hiérarchie tentait peu à peu de me faire tenir quand je devait signer des suivis d'opérations pratiquement les yeux fermés. Pas question dans mon éthique personnelle d'être un signataire bidon de plus sur un plan qualité de complaisance. D'être un pantin sans foi ni loi comme le sont beaucoup d'arrivistes de cette filière.

Alors sont venus les interrogations et les scrupules - un autre conflit de loyauté - vis à vis de moi-même d'abord, de mon métier et des générations futures ensuite. 

En 2014, il y avait longtemps que je ne trouvais plus de motivation pour aller travailler. 
Matin après matin, c'était de pire en pire. Les dernières années,  c'était devenu si monotone, qu' aller au travail était devenu extrêmement douloureux.
La fonction de contrôleur technique n'étant plus respectée et devenue une sorte de rôle qu'il me fallait jouer mais en n'étant pas trop regardant sur ce que l'on renvoie au client. 
Comme " saloper " le travail a toujours été impossible pour moi, tout cela déboucha sur un terrible burn-out qui me valu dans un premier temps pratiquement deux ans et demi d'arrêt maladie et qui se termina par une courte hospitalisassions en février 2017,  à ma demande, histoire de trouver un peu de répit loin de la famille. Ce séjour en psychiatrie fut pourtant l'une de mes pires hospitalisation 
A  la fin, mon toujours psychiatre le Docteur Philippe Séchier, me proposa un statut d'invalidité.
La pension représentant la moitié de mon salaire complété par la rente d'une assurance gros risque. 
Laissant de coté ma carrière dans le nucléaire civil, je me disais qu'une nouvelle vie pourrait commencer pour moi et quelle me laisserait le temps de faire ce que j'aime par dessus tout, l'Art.